Je viens de lire coup sur coup « Mort à la Fenice » et « De sang et d’ébène ». Deux enquêtes du commissaire Brunetti, le héros de la série crée par Donna Leon. Le premier date de 1992 et a reçu le prix japonais Suntory qui distingue un roman pour son suspens. Le second a été publié en 2005. Entre les deux, peu de points communs si ce n’est la ville de Venise et le personnage central du commissaire Brunetti.

 « Mort à la Fenice » est une véritable enquête policière à la « Columbo ». Ca commence par la mort soudaine d’un célèbre chef d’orchestre allemand en plein milieu d’une représentation de la Traviata. L’enquête démarre,  guidée par les intuitions du commissaire Brunetti. On le suit lors de ses interrogatoires et de sa recherche d’indices, on découvre avec lui le monde de l’opéra et de la Jet Set. Et même si il est quasiment impossible pour le lecteur de deviner seul la solution de l’énigme - on n’est pas chez Agatha Christie - le dénouement  est original et l’ensemble du scenario tient la route.

« De sang et d’ébène » débute également par une mort violente mais c’est à peu près la seule ressemblance avec « Mort à la Fenice ». Le crime de départ n’est qu’en fait un alibi pour Donna Leon pour nous asséner dans l’ordre ses thèses sur le racisme, l’immigration clandestine, l’intolérance, l’éducation des adolescents, les dérives du pouvoir, le terrorisme, la manipulation des média, sans oublier au passage les problèmes de corruption et  d’autorisation de construire à Venise (sujet déjà abordé dans « Mort à la Fenice ») et j’en passe. L’enquête n’avance pas et pour cause, le supérieur du commissaire lui a demandé de ne plus s’en occuper. Et nous, pauvres lecteurs, allons piétiner durant 318 pages en espérant un dénouement qui ne viendra pour finir pas.

Le côté positif du livre, c’est de passer du temps avec le commissaire et sa petite famille, partager l’atmosphère du foyer dans lequel Brunetti se réfugie lorsque la pression mise par son supérieur devient  trop forte  ou que sa motivation lui joue des tours. Les principaux traits de sa personnalité, les valeurs en quelles il croit et son amour pour la bonne cuisine ne sont pas sans faire penser à son homologue sicilien,  le commissaire Montalbano créé par le très célèbre Andrea Camilleri. Mais notons au passage que lorsque Camilleri  se penche sur les problèmes d’immigration illégale, de trafic d’enfants ou les dérives de la société sicilienne (qui n’est ni pire ni meilleure que la société vénitienne), il le fait tout en finesse et en conservant  à ses histoires leur côté policier.

J’ai lu avec un grand plaisir toutes les enquêtes du commissaire Montalbano parues jusqu’à aujourd’hui. Pas sûr que j’ai le même enthousiasme à me jeter sur les 12 autres Brunetti. Dommage.

Jean-Claude

La Vague - Todd Strasser - Audio

Petite remarque préliminaire sur les livres audio. Tout comme un très bon lecteur peut faire bander en lisant le répertoire téléphonique, un lecteur médiocre peut vous faire perdre la substantifique moelle d'un texte de haut vol. En l'occurence la locutrice a depuis longtemps dépassé l'âge des galipettes. Son ton légèrement pontifiant donne à l'auditeur l'impression de porter encore des culottes courtes.

Dans les années 60, un prof d'histoire d'un lycée américain montre à ses élèves un film sur les camps de la mort. Réaction immédiate de la classe : une chose pareille ne peut arriver chez nous. Il tente l'expérience de transformer ses élèves en parfaits petits moutons. A l'aide se slogans et de salutations ils se transforment en un bataillon discipliné, à part bien sûr quelques récalcitrants.

Cette histoire prétendument authentique est traitée de façon diaboliquement didactique. De la littérature pour gamins immatures. Et second message subliminal "une telle chose n'arrivera jamais chez le leader mondial de la démocratie". On pourrait en douter au vu de certains exploits guerriers récents dans l'un ou l'autre pays pétrolifère.

Un coup dans l'eau donc. J'ai de loin préféré l'émission récente de la télévision française basée sur les expériences de Milgram, où l'on voit de parfaits candidats bourreaux envoyer des décharges électriques - heureusement factices - à un homme répondant de façon erronée à des questions d'un jeu télévisé. Sous prétexte d'obéissance à l'animatrice, ils sont prêts à tuer. Hallucinant.

Amitiés désobéissantes,

Guy.

Remarque préliminaire: la langue maternelle de l'auteur est le russe. Ce livre est écrit en français. Né en 1957, il s'est installé en France en 1987. Son parcours et sa maîtrise d'une langue qui n'est pas la sienne pourraient inspirer certains obtus vivant en francophonie qui n'ont toujours pas compris que l'avenir appartient non seulement à ceux qui se lèvent tôt, mais à ceux qui ont le courage d'apprendre d'autres langues. Un salut particulier aux Belges.

Choutov vit en France. Il rompt avec Léa, bien plus jeune que lui. Ancien dissident, il décide de retrouver son amour de jeunesse, Iana, qui habite Saint-Pétersbourg. Dans une ville qu'il a connue sous le nom de Leningrad. Il aura de la peine à retrouver ses repères. Iana est devenue femme d'affaires. Toute la ville pue le fric. Il fera la connaissance d'un vieillard, Volski, considéré comme muet et un peu retardé. Celui-ci lui racontera les souffrances endurées pendant le siège de Leningrad par les Allemands.

Quelques-unes des pages les plus émouvantes du livre racontent les représentations d'une troupe de chanteurs, à l'opéra et au front, dont fait partie Volski. Ils manquent de tout, de nourriture, de combustible, et pourtant ils arrivent à redonner courage à une population totalement abandonnée. Il aimera Mila, il la retrouvera après la guerre, ils connaîtront les camps soviétiques. Il y survivra, mais pas elle. Tout cela est raconté avec beaucoup de retenue.

De la littérature pointilliste.

Amitiés slaves,

Guy.

Pour ceux qui suivent - même de loin - la politique française et son Souverain Bondissant, un livre indispensable. Le style pamphlétaire permet une mise à distance salutaire en évitant à l'auteur des poursuites judiciaires. Les aventures du Gigotant Monarque commencent à peu près au moment de la crise monétaire.

"Le magnifique rêve de prospérité à crédit de Notre Dépensier Souverain venait à la seconde de crouler avec le building de Lehman Brothers; il fut contraint de négocier un sérieux virage pour se contredire sans en avoir l'air, mais il est plus aisé de changer de convictions lorsqu'on n'en a pas."

Les rencontres avec l'empereur Obama et l'impératrice Michelle ne tournent pas à l'avantage de notre Tressautant Leader et de la ci-devant comtesse Bruni. Ségolène, archiduchesse des Charentes, a droit à un tableau au vitriol.

Nous apprenons que le Prince a inventé un régime d'un genre tout à fait neuf, la démocratie totalitaire. Remarque en passant (ceci ne se trouve pas dans le livre) : il suffit de se balader dans la France de 2010 pour constater avec horreur la multiplication des flics. Fin de la parenthèse.

La grossesse et l'accouchement de la baronne d'Ati mettant au monde un bébé de père non déclaré donnent lieu à quelques pages succulentes. "...L'ancien Premier espagnol , le caudillo Aznar  jura qu'il n'était pas le père sans qu'on lui demandât rien, puis nièrent aussi l'un des frères de Sa Majesté et le procureur général du Qatar qui s'entoura d'une batterie d'avocats féroces... A Londres, le Times ironisa 'Le pape Benoît n'est pas le père'..."

Le comte d' Orsay (Kouchner pour les intimes) passe à la moulinette : il avait commencé jeune dans le bienfait et il ne refusait jamais de s'aider lui-même comme il aidait autrui.

Autre affaire : la nomination d'amis au sommet de deux banques :
"...Sur les fenestrons (la TV en langage populaire), le cardinal dut venir au secours du Monarque en une phrase qui résumait à elle seule la nature du régime 'Le Prince n'a pas menti, il a pris un raccourci'.

Amitiés à suivre,

Guy.

Ecrit au début de notre décennie, cette histoire se passe en 2006, soit dans un futur proche. Connaissez-vous la peinture hyperdramatique ? Les toiles, dans ce monde totalement déshumanisé, ce sont des êtres humains devenus objets. Ils sont achetés par des collectionneurs richissimes et passent leurs journées dans une immobilité entretenue par une série de produits chimiques. D'autres font office de Tables, de Sièges, de Plateaux...

C'est glacial et passablement culotté...

Une série de crimes dans ce monde artificiel mettront en émoi policiers et détectives. La vie humaine est à l'aune de la valeur marchande des tableaux. De nos jours, on achète des joueurs de football, des embryons et des organes. Un jour peut-être on achètera ce genre de tableaux.

L'auteur est cubain et psychiatre. Il connaît cette île formatée comme un disque dur, peuplée de fidèles castrés.

Tous les personnages sont profondément antipathiques à part un certain Lothar Bosch, flic devenu enquêteur. Son patronyme évoque un enfer de sorciers et de démons - probablement pas par hasard.

Un livre inclassable au style par moments fulgurant.

Amitiés frigorifiques,

Guy.